Notre sortie de mars dernier, 90 livres cultes à l'usage des personnes pressées du suédois Henrik Lange, a connu la meilleure mise en place d'un livre publié par çà et là : 4 500 exemplaires pour sa sortie (le 15 mars dernier).
La mise en place d'un livre correspond au nombre d'exemplaires d'une nouveauté commandés par les libraires avant la sortie
du livre. Ces commandes (ou "notés") sont prises deux à trois mois avant la sortie des livres, au moment de leur présentation à chaque libraire par les représentants (les gens bien intentionnés
qui font le tour de France tous les mois pour vendre nos livres aux libraires). Pour çà et là, il s'agit de la vaillante équipe du Comptoir des Indépendants, qui assure également la
diffusion des catalogues de l'Association, Rackham, Atrabile, Diantre, Matière, Imho, La 5eme Couche (entre autres).
En général, les mises en place de nos livres tournent autour de 1 000/1 200 exemplaires, un peu moins pour les livres "difficiles" ou atypiques (comme le très grand Storeyville qui a eu mise en place d'environ 700 ex) et sensiblement plus pour les "grosses" sorties comme Château l'Attente (3 500 ex en novembre 2007) ou Bottomless Belly Button (3 000
ex en novembre 2008). Ces commandes sont en général réalisées par environ 350 librairies (généralistes, spécialisés BD et Fnac/Virgin). Ces chiffres donnent la mesure de la réalité de notre
marché, et de la taille de notre lectorat, qui est donc relativement limité. Pour les publications des éditeurs indépendants, il est très rare qu'une mise en place dépasse les 5 000 exemplaires,
même pour un Daniel Clowes. Pour donner un ordre d'idée, la mise en place d'une grosse sortie en BD Franco Belge doit facilement atteindre les 200 000 à 300 000 exemplaires
(sans parler d'un Titeuf ou d'un Astérix). Toujours à titre de
comparaison, la mise en place du premier volume du Twilight façon manhwa de Pika était de 1 500 exemplaires à la seule Fnac St
Lazare (Paris), et de 200 000 exemplaires au niveau national...
Bon évidemment, on ne peut pas comparer Alec de
Eddie Campbell avec le dernier Largo Winch, de la même manière qu'on ne mesure pas le succès de David
Foster Wallace à l'aune des ventes d'un Marc Levy. Mais ces chiffres sont également difficilement comparables pour une autre raison: contrairement aux pratiques des
éditeurs indépendants, les sorties de blockbusters reposent sur une stratégie d'occupation de terrain. Les gros éditeurs font le forcing pour assurer une visibilité maximale de ces livres en
librairie. Le fameux Twilight a ainsi été "imposé" à de nombreuses librairies (un libraire de province m'a expliqué avoir commandé 5
ex et en avoir reçu 35, une pratique dite "d'office sauvage").
Ceci dit, une bonne mise en place ne rime pas toujours avec de bonnes ventes. Les livres sont en librairies, certes, mais si aucun lecteur ne les achète, les libraires ont la possibilité de
pratiquer les "retours", c'est-à-dire de renvoyer les livres au distributeur, qui les lui rembourse (le distributeur refacturant ensuite les retours aux éditeurs concernés). Nous parlerons donc
dans un prochain post des ventes réelles des livres, ou "comment se taper un super four ou un gros succès en regardant dans sa boule de cristal".